Pour Gary Gritness, il n'y a pas d'entre-deux, pas de tiède, pas de 50-50. Un tribute, c'est soit un calque parfait: 'comme Jesse Davis avec Charlie Parker ou les orchestres symphoniques avec le grand répertoire'. Soit une proposition qui n'a rien à voir avec l'originale. Dès les premières secondes deMahakali, sa relecture franchement house des compositions late seventies et early eighties de Don Cherry, on comprend aisément de quel côté il se situe. D'autant qu'il ne revisite pas la période la plus iconique du trompettiste américain. À cette époque, l'ex-complice d'Ornette Coleman ou de John Coltrane explorait les musiques traditionnelles du monde entier sur Brown Rice (1975) et Hear & Now (1977) ou le format pop et new wave sur Home Boy, Sister Out (1985). Quelque chose de pas si éloigné des premières expérimentations electronico-ethniques de Jon Hassell et Brian Eno à la même période. - - Ce que le producteur et multi-instrumentiste français admire chez le trompettiste américain, c'est sa profonde et sincère curiosité. 'Quand il s'inspire des sons et des musiques d'Afrique, ce n'est pas pour montrer qu'il était métissé. Ce n'est pas de la réappropriation culturelle ou du déguisement, non, il est lui-même'. Et comme parfois dans l'exercice du biopic sonore, on peut y voir davantage l'autoportrait de l'auteur que le portrait du héros. 'Il y a peut-être eu transfert, c'est vrai, je me suis reconnu en lui' confie Gary Gritness. Et quand il regrette que certains aient enfermé Don Cherry dans une case 'free jazz', on peut se demander si le producteur et musicien français ne parle pas de lui en filigrane, lui qui a fait ses armes dans l'electro-funk comme dans le jazz, le rap ou la house. Lui qui a bossé avec le père de l'ancestral soul Boddhi Satva comme avec le maître zimbabwéen de la mbira Jacob Mafuleni. Lui qui donne le sentiment d'être aussi un véritable touche-à-tout ... même si le terme le 'gonfle': 'on ne dit pas de Belmondo que c'est un touche-à-tout parce qu'il a fait des comédies et du Godard...'.En revanche s'il y a bien un terme qui lui convient pour parler de Mahakali, c'est celui de 'fusion'. 'Pour moi ce n'est pas un gros mot: j'aime Weather Report ou les disques de Steve Khan avec Anthony Jackson, Steve Jordan et Manolo Badrena'. Et petit détail qui veut dire beaucoup: sur tout l'album, Gary Gritness a porté un soin particulier aux timbales, percussions parfaites pour faire le lien entre acoustique et électronique. 'Au moment où Antoine [Rajon, le fondateur du label Komos] m'a proposé de faire cet album, c'était une période où j'avais justement envie d'utiliser un matos hyper limité, basique, parfait pour casser du club à 3h du mat', quand les gens ont envie que ça envoie du pâté. À la grande époque de Blue Note, ils ont pu faire des centaines d'albums avec juste un piano, une contrebasse et une batterie. En électronique, c'est la même chose: avec un set-up réduit, on a des millions de possibilités.' Pareil pour l'équipe autour de lui, réduite au possible: Vincent Thekal aux saxophones, Olivier Portal à la basse et la kora de Ballaké Sissoko sur 'Universal Mother'. Et surtout pas de trompette, évidemment, pour rester fidèle à sa conception radicale du 'tribute'.Tendue, rentre-dedans, sulfureuse, sa vision de Don Cherry va surprendre, agacer, détonner, bluffer, dérouter, secouer, épater. Elle va faire danser, rêver, penser, vibrer, parler. Bref, elle ne va pas laisser indifférent. Ça tombe bien, c'est exactement un trait de caractère de Don Cherry que Gary Gritness veut épouser: 'quand il a fait ses disques des années 80, il se foutait de ce que les gens pouvaient penser. J'ai surtout essayé de garder cet état d'esprit non-précautionneux'. --- Mathieu Durand ---