Pourquoi le saxophoniste américain Marion Brown reste-t-il l'un des secrets les mieux gardés de l'histoire du jazz ? Alors que les hommages, les tribute et les in memory of forment le quotidien des artistes de la note bleue et de l'impro, pourquoi n'y a-t-il eu que très peu de projetsdédiés à l'oeuvre fiévreuse, versatile, incasable de Marion Brown ? Peut-être justement parce qu'elle est trop fiévreuse, versatile et incasable. « Et c'est aussi pour ça que sa musique m'a vraiment accroché » confie le jeune Français, pièce maîtresse de la scène jazz caribéenne dans les groupes de Sonny Troupé ou Ralph Lavital. À la fin des années 60, Marion Brown a vécu à Paris et composé la B.O. du Temps Fou de Marcel Camus - le film sortira en fait sous un autre nom et avec une musique signée Nino Ferrer.C'est justement tout autour de cette « période parisienne » que Jonathan Jurion a voulu se concentrer. Jusqu'à reprendre à son compte le titre de cette soundtrack maudite. Comme une manière de rappeler que la musique, et le jazz en particulier, a pour objectif d'affoler le temps, de lui faire perdre la tête, de le mettre sens dessus dessous. Avec un principe cardinal en tête : « ne surtout pas perdre de vue son esprit, mais y ajouter le mien ». C'est-à-dire imaginer des arrangements aux « couleurs caribéennes » et choisir des morceaux « qui se prêtent au tambour Ka », l'instrument-clé du gwoka." Entouré de forts estimables accompagnateurs, on jurerait que Jurion est comme possédé par l'esprit de Brown. Un pianiste à suivre de près dont il nous tarde désormais de découvrir les autres facettes - mais le temps ne presse pas tant que ça : Le temps fou nous aidera à patienter sereinement. " --- JAZZ MAGAZINE ---."Voilà bien quinze ans que je suis ce que fait Jonathan Jurion. Il avait alors tout juste vingt ans, et il intégrait Iguane Xtet pour préparer le premier album du groupe et participer à plusieurs festivals, en France hexagonale et en Guadeloupe. Et nous avions tous été irrémédiablement séduits par son jeu, entre son talent, son don pour l'innovation, sa technique, sa musicalité, sa versatilité rafraîchissante, bref... A cette même période, toujours en Guadeloupe, Jonathan était de tous les bons coups : Caraib II Jazz, Artefact, Dunk, Christian Laviso... Le début d'une longue liste de participations qu'il poursuivra ensuite à Paris, souvent en compagnie d'Arnaud Dolmen, et auprès de musiciens comme Ralph Lavital, Yann Négrit, Mokhtar Samba ou encore Tangora. Il y a quelques années, son trio avec Arnaud Dolmen et Damien Nueva esquissait les prémices d'une production à venir, mais le projet n'était pas encore mûr. Plus récemment, on sentait frémir quelque chose lors de ses participations aux projets de Sonny Troupé ou Jowee Omicil. Jusqu'à ce qu'enfin cette année, les rumeurs d'un premier disque enflent pour finalement se confirmer. C'est donc pour moi un évènement et même une fierté - alors que bon, il est clair que je n'y suis pour rien, hein ! - de voir enfin sortir 'Le Temps Fou - The Music Of Marion Brown', qui plus est excellemment produit, sur un nouveau label de qualité, Komos Jazz, emmené par le défricheur sonore Antoine Rajon.Et c'est donc en trio augmenté que Jonathan nous livre ce premier album dédié à la musique du souvent mal-aimé Marion Brown. Si le choix de ce répertoire peut surprendre, il faut d'abord y voir une belle rencontre d'idées entre le concept « The music of » d'Antoine Rajon et les rapprochements naturels de Jonathan avec l'histoire tourmentée d'un Marion Brown dont le free ultra libre était une marque de révolte non dissimulée. Ensuite, les thèmes de Brown se prêtent à merveille à la relecture créole jazz qu'en fait Jonathan. Il s'appuie - j'ai envie de dire « évidemment » - sur la batterie d'Arnaud Dolmen, complice de toujours, et autant multiforme que le sont les arrangements du pianiste. Le trio est complété par l'inattendu mais ô combien judicieux Michel Alibo, à la contrebasse, et qui prouve ici que son étiquette jazz fusion n'est que l'une des facettes de son jeu ici purement jazz, rond, fin, et tout en groove suggéré.D'entrée, sur "Sweet Earth Flying", un piano nerveux répond d'égal à égal au ka d'Olivier Juste, suivi du très caribéen "Capricorn Moon" où le pianiste est rejoint par Jowee Omicil (sax) et Josiah Woodson (tp). Les compositions de Brown collent parfaitement au traitement chaleureux et chantant que leur impose Jonathan, et dans l'espace laissé à l'improvisation on sent parfois poindre la tentation du free, comme une esquisse ou une inclinaison en devenir (La Placita). Le Temps Fou est le titre d'une BO écrite par Marion Brown pour le film du même nom de Marcel Camus en 1969, mais ne cherchez pas le film il n'existe pas. Il sera finalement sorti sous le nom de l'Eté Sauvage, et la musique remplacée par des compositions de Nino Ferrer, également acteur dans le film. Sans remettre en cause le talent de Nino Ferrer, il est clair qu'on avait changé d'esprit... Sur ce titre, mais aussi "Children's Tales" ou encore "La Placita", outre le jeu de Jonathan, on découvre un vrai trio jazz porté par la contrebasse de Michel Alibo et la finesse d'Arnaud Dolmen. Le groove caribéen reprend ses droits sur Magic Brown, et plonge même carrément dans le rétroviseur avec un réjouissant "West India" solo, entre stride « Monkien » et latin (pas sur le vinyle malheureusement).Alors voilà, Jonathan Jurion sort ce mois de juin 2020 son premier album, et il est tout simplement formidable. Marion Brown y est créole, et cela semble une évidence. Jonathan confirme ici ses grands talents d'interprétation et d'arrangement. Un trio jazz est né (espérons !). Que du bonheur !" --- par Christophe Jenny.
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Album
LE TEMPS FOU - THE MUSIC OF Marion BROWN (vinyl)