Les chansons Ă boire, de Miossec aux Pogues, ont toujours donnĂŠ vertiges, larmes et rires au rock. Dans la country, c'est au Texas, Ă base de moonshine, de femmes perdues et de fidèles destriers, que l'on a ĂŠcrit les plus sensibles dâentre elles, sans langue-de-bois, avec gueule-de-bois. Baptiste W. Hamon,nĂŠ près de Paris, a adoptĂŠ Ă lâadolescence ces lĂŠgendes d'hommes crevassĂŠs, contemplant le dĂŠsert, une gnĂ´le dĂŠsastreuse dans la gourde. Lors dâun de ses rares passages en France, Townes Van Zandt trempa ses croissants dans un grand verre de Jack Danielâs. Comment, dans ce tĂŠlescopage insensĂŠ de traditions françaises et amĂŠricaines, ne pas voir la mĂŠtaphore dĂŠfinitive de la musique dĂŠracinĂŠe de Baptiste W. Hamon ? Croiser les voix avec des personnalitĂŠs aussi fortes que l'AmĂŠricain Will Oldham sur L'Insouciance (2016), puis le Breton Christophe Miossec sur Soleil Bleu (2019) ressemble fort Ă une dĂŠclaration de foi. Après cet alcool triste, après lâivresse espiègle de lâalbum Barbaghamon (2021) enregistrĂŠ avec le Toulousain Barbagallo est arrivĂŠe lâheure de lâalcool guilleret. Le producteur anglais John Parish partage avec Baptiste un goĂťt pour les grands voyages, pour les sautes d'humeurs musicales. Parish a ainsi produit quelques- uns des albums cultes du Français : Dominique A, Sparklehorse, Aldous Harding,Giant Sand ou bien sĂťr PJ Harvey. Baptiste voulait un cĂ´tĂŠ ĂŠpurĂŠ dans lâarrangement des chansons, quelque chose de classe, de sobre, avec la prĂŠsence en fil rouge dâune pedal-steel que John rĂŠussit parfois Ă faire sonner comme un synthĂŠ atmosphĂŠrique. Cette musique nâest pas du tout figĂŠe dans les traditions et le passĂŠ. Elle est de son temps. Voir rĂŠnovatrice quand Baptiste sâapproprie une chanson d'autrefois comme l'exaltĂŠ "RevoilĂ le Soleil" de lâAngevin rĂŠvoltĂŠ Jacques Bertin quâil fait sienne, Ă la Calexico, dans cet ĂŠternel souci de transmission. Il ignore les frontières gĂŠographiques et stylistiques, en invitant pour un duo solennel et sensuel la chanteuse Ane Brun, venue de cette Norvège oĂš Baptiste vĂŠcut deux ans. Baptiste W. Hamon nâa effectivement pas toujours ĂŠcoutĂŠ de la country-music, il a commencĂŠ par Belle & Sebastian, Nick Drake, et Elliott Smith. Et des textes au scalpel dâune chanson française des annĂŠes 50 et 60, Brel en tĂŞte, il a gardĂŠ un goĂťt de l'ĂŠpure et, paradoxalement, du lyrisme. Il n'hĂŠsite pas Ă raconter des histoires chaloupĂŠes avec humour ("DorothĂŠe"), Ă dĂŠcrire avec gravitĂŠ des scènes quotidiennes ("Ils Fument"). Dans une mĂŞme chanson, les mots tendres et les phrases assassines se mĂŞlent, paroles et musiques se castagnent ("Boire un Coup", "Les Gens TrompĂŠs"). Car si les punchlines pullulent, jamais les mĂŠlodies ou le son, magnifique, ne sont nĂŠgligĂŠs. DrĂ´le de disque, Ă la fois maximaliste dans les images, les petits films qu'il suggère, et minimaliste dans la mise en son, la mise en scène. Quâimportent les diffĂŠrences fondamentales de dĂŠcorum : ce sont les mĂŞmes histoires cabossĂŠesque lâon raconte dâun cĂ´tĂŠ lâautre de lâAtlantique.